Un petit poisson dégourdi
C’était au mois de juillet de l’année dernière, par une belle journée d’été, mer plate et peu agitée, parfaite pour notre convenance. Ce jour là, avec mes compagnons plongeurs, nous avions décidé de faire une plongée à l’île de Riou, un peu au nord de la pointe Caramanseigne.
Evoluant dans une eau limpide, avec une bonne visibilité, sur un fond de dix sept mètres, dans une grand champ de gorgones blanches, blafardes, dressées vers le haut, semblables à des chandeliers. Ca et là, tombés depuis longtemps de la falaise, des blocs rocheux éparpillés, recouverts de mousses, d’algues vertes et brunes surmontés de gorgones bleues en panache, ondoyant mollement au gré du courant léger.
Logés dans de petites cavités, des spongiaires jaunes citron appelés clathrines et des éponges épineuses orangées. Emergeant de la paroi verticale, deux antennes en V orange et blanc alterné, identifiaient une langouste dont le corps était en sûreté dans une faille étroite du rocher.
A coté, sur le fond, une pierre en demi boule recouverte de mousse d’algues vertes. J’aperçu un roucaou, un peu plus grand que la main, aux couleurs vives, vert clair bordé de lignes rouges, aux nageoires d’un beau bleu pointillé de blanc, farfouillant dans un petit carré de sable pour trouver peut être quelques nourritures. Je m’arrêtais un instant, allongé sur le fond sans bouger et observateur.
Le bruit de mes bulles attira son attention. IL se tourna, me regarda avec ses yeux ronds et noirs quelque secondes, sans bouger. Nous étions à un mètre l’un de l’autre. A son regard, j’ai vu qu’il réfléchissait. Puis il nagea vers le fond qui était à vingt centimètres sous lui. Avec ses lèves préhensiles blanches il prit quelques algues vertes semblables à du petit persil frisé, les arracha en faisant des contorsions énergiques avec son corps, puis venant vers moi avec trois brindilles pincées dans sa bouche, les lâcha en pleine eau prés de mon masque.
Pourquoi fait-il cela ? veut-il attirer mon attention ? Après un instant de réflexion, avec les doigts de la main gauche, je saisi le panache d’algues pour l’examiner, sans rien déceler de particulier. Le roucaou restait très attentif, sans bouger, épiant mes moindres gestes.
Je portais les algues à ma bouche, faisant semblant de les manger et tournant légèrement la tête de manière que le boîtier de mon détendeur camoufle la disposition des végétaux à son regard. Il repartit au fond et ramena un autre paquet d’algues près de moi. Et je répétais les mêmes gestes que la première fois. Pour moi, c’était curieux mais pour lui le spectacle devait sans doute être digne d’intérêt, puisqu’il recommença une troisième fois.
Mais au retour, sa bouche garnie d’algues vertes, une multitude de petits poissons, composée de bogues, castagnoles noires, sars serrants girelles, pataclés venant de derrière moi et précédant mes compagnons plongeurs ; rompit le charme et détourna l’attention du roucaou. Entraîné par cette ambiance grouillante et excitée, il partit se chamailler avec d’autres congénères.
Au cours de ma vie de plongeur, selon les circonstances, j’ai eu l’occasion de donner de la nourriture aux poissons carnivores, en cassant des coquillages pour susciter l’intérêt du spectacle naturel dans son milieu. Mais je ne savais pas que les poissons, sans doute ayant côtoyés d’autres plongeurs aient acquis une éducation, voulant nous imiter en faisant aussi de petits cadeaux à leur manière, aux personnes attentionnées, sensibles aux actions spontanées et opportunistes.