La grotte de la Triperie

La grotte de la Triperie

le 4 septembre 1991, Henri Cosquer déclarait avoir découvert une grotte sous-marine contenant des peintures rupestres préhistoriques.

Trois jours avant cette date, un accident grave survenait dans cette même grotte où trois plongeurs grenoblois trouvèrent la mort. Ce jour là des membres de la section Plongée de l’A.S. de Cadarache furent témoins et acteurs de ce drame.

C’était à Cassis, un dimanche matin, par un léger vent d’est, la météo avait prévu un renforcement de celui-ci en cours de journée. J’étais le directeur de plongée. Nous avions décidé de passer la journée en mer et donc d’emporter tout le matériel nécessaire

Après consultation des encadrants, pour la plongée du matin, nous avons mouillé dans la calanque de la Triperie, à l’abri de la houle. En chemin, comme d’habitude nous avions composé les palanquées et la prévision de départ : Deux groupes partiraient en premier, les deux autres groupes dès le retour des premiers, de telle sorte qu’il reste toujours une surveillance en surface.

Avec Agnès et Claude BERTON, je faisais partie des deux premières équipes. Nous sommes partis explorer le fond à 35 m, le long de la falaise. L’autre groupe est resté à 15 m de profondeur, à la grotte du bout de la Triperie et, terminant l’exploration avant nous, est revenu au Tiki III. les deux autres palanquées qui attendaient sur le bateau ont sauté à l’eau à leur tour.

Lorsque nous sommes montés à bord, j’ai remarqué que beaucoup de navires de plaisance s’étaient placés à l’abri des vents du sud, pas loin de nous. Encore équipé de ma bouteille, mon regard fut attiré par un zodiac gris occupé par quatre hommes en maillot de bain, situé à une cinquantaine de mètres par tribord avant du TIKI III.

Un des occupants agitait les bras en l’air, ce que j’interprétais comme un signal de détresse. Puis il mit le zodiac en marche et vint vers nous doucement, s’écartant des bulles de nos plongeurs avec précaution, il accosta à notre tribord et nous l’amarrâmes pour qu’il reste à poste fixe.

Cet homme, âgé d’une cinquantaine d’années, était le moniteur de plongée, responsable du club de la calanque de Sormiou. Deux autres hommes, plus jeunes faisaient triste mine, un troisième pleurait. Le moniteur me fit part de son inquiétude au sujet de trois plongeurs partis depuis plus de 45 mn, explorer la grotte – celle située à la pointe nord de la calanque de la Triperie -. et qui n’étaient toujours pas revenus à la surface. Il me demanda notre aide pour secourir ces personnes. Je lui fis remarquer que nous venions à peine de remonter après une plongée de 35 mn à 35 m de profondeur et qu’il n’était pas raisonnable de s’immerger à nouveau. De plus nous avions encore des plongeurs au fond de l’eau qu’on ne pouvait abandonner. Mais nous pouvions mettre à sa disposition nos bouteilles pleines. Il se trouvait à peu près dans les mêmes conditions que nous, sorti de l’eau depuis presque une heure.

Ce moment là fut considéré comme le temps T zéro. Tous les évènements qui se passèrent ensuite dans la journée furent notés sur le cahier de bord.

Je lui proposais une intervention active dès le retour de nos plongeurs. On jeta à la mer trois pétards de rappel à une minute d’intervalle. Le groupe le plus éloigné, revint tout de suite. L’autre n’entendit rien et continua sa progression normalement. En attendant, nous appelâmes par radio le CROSMED. Il dirigea vers nous le navire de secours la « Bonne Mère » qui patrouillait à proximité de l’île Maïre. Il estimait son arrivée sur les lieux à une trentaine minutes. Entre temps, nous préparâmes un fil d’ariane avec plusieurs bouts raboutés, puis nos matériels de plongée pour une intervention de 10 minutes maxi dans la grotte, si la visibilité le permettait .

Au moniteur de la calanque de Sormiou je demandais s’il était bien sûr que ses trois plongeurs se trouvaient dans la grotte et pas ailleurs. En regardant le jeune homme qui pleurait dans le zodiac il confirma qu’il faisait partie du groupe, qu’il avait trouvé la sortie par hasard, à travers un brouillard de poussières et que depuis, sur le zodiac, ils espéraient le retour de leurs trois collègues. Attente passive dont je lui fis reproche, car ils étaient restés en surface sans demander de l’aide, sachant que leurs plongeurs n’étaient pas équipés pour ce genre d’exploration : (pas de fil d’ariane, une seule lampe électrique) et méconnaissaient les lieux.

J’estimais qu’après plus de 45 mn de plongée, à 36 mètres, en mono bouteille pour certains, ils avaient probablement épuisé leur réserve d’air comprimé. Peu de chance hélas de pouvoir les retrouver vivants.

A temps T + 15 minutes, le dernier groupe de nos plongeurs monta sur le bateau, Ils furent informés de l’accident afin qu’ils prennent part aux opération en cours. Je mis le moteur en marche, montai le mouillage et dirigeai le bateau vers la grotte. La mer bougeait assez fortement, des vagues hautes de 80 cm venant du sud se brisaient sur les falaises. Nous avions convenu que deux groupes de deux plongeurs expérimentés niveau 4 ou moniteurs feraient partie de l’intervention de secours.

La première équipe composée de Claude BERTON et FOISSIER était sur le point de sauter à l’eau dès que je couperais l’erre du navire, mais les roulis occasionnés par les vagues de travers firent tomber une bouteille de plongée non amarrée, elle sectionna le pouce de la main droite d’un de nos adhérents assis sur le banc.

 

Arrêt immédiat de l’action de secours. Nous informons le CROSMED de ce nouvel accident corporel survenu sur notre bateau. Nous effectuons les premiers soins nécessaires pour préserver le doigt.

Le navire de secours en mer arriva sur les lieux, guidé de loin par un feu de détresse COSTON rouge, allumé par l’équipe des plongeurs de Sormiou

 

Nous informons le commandant des évènements, et nous partons vers le port de Cassis où nous attendaient les pompiers, prévenus par radio pour prendre en charge notre blessé.

Mais un message radio nous demanda d’arrêter le bateau et de préciser notre position. En effet, un chirurgien plaisancier naviguant entre Planier et l’île de Riou, avait intercepté nos messages avec le CROSMED. Il nous avisa qu’il faisait route vers nous pour soigner notre blessé et nous demanda de bien vouloir nous distinguer des autres plaisanciers en nous éloignant un peu de ceux ci.

Dix minutes plus tard il arrive et accoste à notre bord. Il demande à notre blessé d’aller sur son navire, examine et soigne la blessure. Puis parce que son bateau était plus rapide que le notre, il décide d’aller au port de Cassis remettre notre adhérent aux pompiers qui patientaient déjà, prévenus par le CROSMED. Le chirurgien envoie un message radio à l’hôpital de la Timone pour avertir ses collègues de recevoir notre plongeur en première urgence. Son doigt fut sauvé.

 

Pendant ce temps les recherches des marins militaires se poursuivaient. Dix minutes après leurs départ ils retrouvèrent un plongeur mort, à six mètres seulement de l’entrée de la grotte. C’était un homme d’une cinquantaine d’années, Niveau 1 qui avait seulement cinq plongées à son actif, sa bouteille contenait encore 40 bars.

Ce spectacle provoqua une vive émotion chez tous les plongeurs qui se trouvaient sur les lieux. Nous décidâmes de partir pour Cassis, mais avant, par courtoisie, nous avons proposé nos services au commandant de la « Bonne Mère ». Il déclina notre offre et nous remercia. Nous accostâmes dans le port vers midi et quart et nous entreprîmes de décharger tous le matériel du bateau. Personne n’était intéressé par la plongée de l’après midi. C’était la déprime !

Je racontai à Henri Cosquer et à son entourage, les évènements de la matinée.

Tous les plongeurs de notre section partirent chez eux en emportant leur matériel sur le dos sauf deux, Djamel et moi qui devions ramener le bateau à la calanque de Port Miou. Avant le départ, je suis allé saluer Henri, il m’informa qu’il avait contacté les pompiers et le CROSMED pour les aider dans leurs recherches car il connaissait bien la grotte pour l’avoir visitée jusqu’au bout.

L’organisme de secours accepta son offre, maintenant restait à trouver un bateau, car Henri ne voulait pas se rendre sur place avec le CRO MAGNON chargé de clients. Comme il ne trouvait pas de bateau de remplacement, j’avisais Djamel de mon intention de participer aux secours s’il voulait bien m’accompagner. Il avait une très bonne connaissance du Tiki III et n’a pas hésité. Dès que le matériel nécessaire fut embarqué, nous partîmes avec Henri et un de ses moniteurs de plongée Yann GOGAN en direction de Cap Morgiou.

En navigant, nous avons déjeuné avec les provisions prévues pour la journée en mer. Djamel et moi partageâmes en quatre ce que nous possédions parce que dans la hâte de départ Henri et son collègue avaient oublié le casse croûte. Nous avons décidé qu’Henri et son moniteur partiraient en premier avec un fil d’ariane de 50 m qu’ils amarreraient à l’entrée de la grotte. La deuxième équipe assurerait la logistique du bateau et la correspondance radio.

 

L’intervention de la deuxième équipe ne se ferait qu’en cas d’insuccès de la première et en tout état de cause, après concertation pour réduire au maximum les risques. Chaque plongeur emporterait deux lampes électriques et serait accroché au fil d’ariane par un filin coulissant permettant une plus grande exploration

Pour les temps de plongée, nous étions tous dans la même situation puisque nous avions tous les quatre effectué une plongée le matin. Je resterais très vigilant à la direction des opérations prêt à suivre si nécessaire.

Arrivés à l’aplomb de la grotte nord de la Triperie, nous informons le CROSMED et le navire la Bonne Mère, accosté pour le moment au port de la Calanque de Sormiou, que la première équipe était sur les lieux de l’accident, prête à intervenir. Nous recevons leur approbation qui donnait à Henri le signal du départ à 15 h 15 et l’attente commença.

Dix minutes après leur départ, Henri et Yann reparaissent à la surface avec un troisième plongeur, inanimé, flottant grâce à son gilet gonflé. Ils palment jusqu’à l’échelle du TIKI III. Par radio nous informons le navire de secours en mer. On nous annonce la venue d’un médecin en hélicoptère pour l’identification du corps, qui doit rester dans l’eau jusqu’à l’arrivée de la « Bonne Mère ».

De l’hélicoptère, en vol stationnaire eu dessus du TIKI III, descendit une jeune femme médecin. Notre bateau moteur coupé n’était pas manœuvrant, car Henri accroché à l’échelle devait maintenir le corps du plongeur, selon les ordres reçus du commandant.

Il fut très difficile de faire passer la jeune femme sur le pont de notre navire du fait des déplacements importants causés par le souffle de l’hélicoptère. Après plusieurs tentatives, enfin je réussis à la saisir aux hanches et la maintins pendant qu’elle déverrouillait le crochet du câble de son harnais.

Lorsque la doctoresse aperçut dans l’eau, près de l’échelle le plongeur tout habillé que maintenait Henri, elle fut vivement impressionnée et détourna la tête toute pâle. Je l’aidais à s’asseoir sur le banc près de Djamel qui s’occupait de la transmission et réception des messages radio.

Environ 10 minutes après notre message, la "Bonne Mère" arriva et embarqua le corps du 2° plongeur et repartit vers le fond de Sormiou avec la doctoresse. Il restait encore beaucoup d’air dans les bouteilles d’Henri et de son moniteur. Nous informons le CROSMED de la poursuite de l’intervention pour la récupération du 3° homme probablement plus à l’intérieur dans le couloir de la grotte.

Refus… « Ordre d’attendre un plongeur spéléo, spécialiste des conduits et rivières souterraines, parti d’Avignon en hélicoptère et devant arriver dans environ 1 h 30 avec du matériel spécialisé. Ne pas prendre de risque pour le moment ».

Henri et son coéquipier remontèrent à bord et se mirent à l’aise en patientant au soleil de l’après midi, la mer s’était calmée, le vent du sud mollissait.

Assis sur le banc, on bavardait à propos de cette grotte que j’avais connue il y a de nombreuses années, sans grand intérêt à mes yeux, car la faune et la flore étaient en général très limitées à plus de dix mètres de l’entrée. Henri nous apprit qu’il la connaissait bien pour l’avoir visitée jusqu’au bout.

« Elle se compose d’un long couloir de 170 m environ, il faut palmer 8 mn pour arriver dans une salle aérienne où se trouvent de très belles stalagmites et stalactites aux couleurs blanches, orangées à l’éclairage d’une lampe électrique ».

Il avait même photographié certains coins particulièrement esthétiques…

Le temps passa au soleil de l’après midi et un bruit d’hélicoptère au fond de la calanque de Sormiou nous annonça l’arrivée du plongeur spécialiste.

Quelques instants plus tard nous vîmes venir le bateau de secours. En effet à son bord se trouvait le plongeur spéléo avec un matériel conventionnel de plongée et d’autres spécifiques à la spéléo. Entre autre des grilles très bien réalisées pour englober et protéger la robinetterie des bouteilles de plongées, du fil d’ariane de 500 m et un casque équipé de deux lampes électriques.

Henri convainquit ce spécialiste de sa très bonne connaissance des lieux pour guider les recherches plus profondément à l’intérieur du couloir. On lui prêta du matériel spéléo pour compléter son matériel de plongée. Chacun d’eux emporta aussi deux lampes électriques à main.

Les deux plongeurs s’immergèrent à 17 h 30 et nous assurâmes la veille en surface accostés à la "Bonne Mère"

Pendant ce temps on discutait avec les marins plongeurs, jeunes pour la plupart, affectés au navire de secours. Ils nous apprirent que ce matin, la découverte du premier plongeur grenoblois mort dans la grotte, les avait impressionnés. Ils n’avaient pas osé repartir chercher les deux autres plongeurs encore à l’intérieur. C’était la première fois qu’ils intervenaient pour un accident de plongée.

Après vingt minutes d’immersion les plongeurs spéléo réapparurent en surface avec le troisième plongeur accidenté, récupéré à une quarantaine de mètres à l’intérieur de la grotte. Parmi les trois plongeurs grenoblois, c’était le seul qui avait une lampe électrique étanche, il était niveau 4.

 

En fonction des d’informations recueillies dans la journée, nous pouvions imaginer les circonstances de l’accident.

Un groupe de Grenoblois, habitués du club de la calanque de Sormiou, en vacances depuis plusieurs jours, plongeaient dans les environs de Cap Morgiou. Ce matin du 1er septembre c’était leur dernière plongée avant le départ prévu dans l’après midi. Ils étaient allés plonger vers les calanques de la Triperie avec un zodiac gris. Un premier groupe, guidé par le président du club, moniteur national, fit une plongée sans problème.

La deuxième palanquée, de quatre personnes, était dirigé par un niveau 4 grenoblois.

Lors de la plongée, ils aperçurent l’entrée de la grotte et pénétrèrent en palmant sans se rendre compte qu’ils soulevaient des nuages de vase noire qui masquait complètement la visibilité.

Le dernier de la palanquée prit peur et tout de suite rebroussa chemin, à tâtons. Après dix minutes d’angoisse, il vit une éclaircie, c’était la sortie.

Sans connaître les paramètres de sa plongée, temps ni profondeur, il improvisa la remontée et craignit un moment d’avoir un accident de décompression. Pour la première fois de sa vie il se trouvait seul en plongée. Stressé, mais conscient d’avoir échappé au pire, c’était le jeune homme qui pleurait dans le zodiac quand on vint me prévenir.

 

Nous avons essayé d’intervenir sachant qu’on n’avait qu’une chance sur cent de récupérer une personne vivante. Par la suite nous avons su que les trois plongeurs grenoblois étaient déjà morts bien avant que nous ne soyons avertis de l’accident. Dans leurs trois bouteilles, les marins contrôlèrent la pression, il restait entre 35 et 40 bars. Avaient ils perdu leur embout ? étaient-ils morts de peur ?

 

Nous savons tous que les grottes sont dangereuses surtout quand on improvise leur visite sans matériel approprié et avec des personnes non expérimentées.

Un mois avant nous avions eu au club une expérience de ce type au cap Morgiou, partie sud de la calanque de la Triperie. Cette grotte très étroite n’admettait qu’une seule personne à la fois. Claude BERTON y pénétra équipé d’une lampe électrique, mais en remuant la vase, plus de visibilité, de plus la sortie en angle droit était impossible à repérer, même à tâtons. Agnès était restée dehors attendant son tour pour entrer, mais apercevant un nuage noir sortant de la grotte, elle comprit le danger et avec le manche de son couteau elle frappa sa bouteille de plongée. C’est ce bruit de cloche qui orienta Claude vers la sortie. Il en fut quitte pour une belle peur.!

 

Nous prîmes congé de l’équipage de la Bonne Mère avec moult remerciements et félicitations pour notre participation, puis on débarqua Henri et Yann à Cassis. On dirigea le TIKI III à la calanque de Port Miou. Ce jour là avec Djamel nous sommes partis de la calanque à 20 h 30.

Le lendemain, sur le « Provençal » une photo des lieux de l’accident représentant la Bonne Mère et le Tiki III à couple, fit penser aux lecteurs de notre club de Cadarache qui n’étaient pas au courant de l’événement que c’était nous qui avions eu un accident de plongée. Notre Président envoya un démenti au journal.

 

Trois ans plus tard, le moniteur national de la calanque de Sormiou a été condamné par le tribunal de Marseille à 18 mois de prison ferme, 3 ans de prison avec sursis et interdiction à vie de professer la plongée sous-marine.

 

 

Nous devons avertir nos adhérents que la visite des grottes sous-marines requiert une grande attention, qu’il faut respecter certaines règles et éviter toute improvisation. Ne pas oublier que le plafond empêche l’accès direct à la surface et que dans tous les cas il faut revenir à l’entrée de la grotte pour en sortir. Pour ce faire, il faut conserver une bonne visibilité, donc ne jamais remuer le fond vaseux : les palmes provoquent un nuage de particules qui peuvent rester en suspension pendant des heures. La main plaquée sur le masque est invisible et à tâtons il est difficile de s’orienter.

Bien sûr il est souhaitable de visiter une grotte avec une personne qui connaît les lieux et dans tous les cas il est indispensable d’emporter le matériel nécessaire, lampes électriques, fils d’ariane etc.

Avant le départ, prévenir le directeur de plongée en précisant l’heure de retour au delà de laquelle il faudra déclencher une intervention. Cette action pour être efficace doit s’effectuer au plus tôt, sans risquer bien sûr la vie d’autres plongeurs.

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